Comédie dramatique de Paul Emond, mise en scène de Georges About, avec Anne Turolla, Christian Baltauss et Armand Eloi.
La Compagnie Théâtre Art Moderne porte sur scène une partition du dramaturge belge Paul Emond dont la singularité ne tient pas qu'au procédé de la métaphore culinaire usité de manière humoristique et récurrente et, ce, dès le titre, "Les îles flottantes", et à son caractère de fable assortie d'une morale du même acabit : "Ce dont vous remplissez votre assiette, n'est pas toujours ce que vous mangez".
En effet, elle repose sur une intrigue telle qu'entendue dans la tragédie antique et décline un genre peu usité au théâtre, celui du réalisme magique qui permet l'introduction d'éléments d'étrangeté dans une trame ordonnée, en l'espèce, selon la règle des trois unités du théâtre, pour traiter de la thématique des désillusions matrimoniales.
Voilà d'une alléchante entrée en matière qui ne saurait aller au-delà de la mise en bouche afin de ne pas divulguer un menu farci d'inattendus rebondissements. Car tout commence de manière fort ordinaire par un dîner au restaurant. Quoi que. La situation n'est pas tout à fait banale.
D'une part, parce que Luc et Barbara ne se retrouvent pas pour un dîner d'amoureux mais pour un dîner d'adieu. D'un commun accord, ils ont décidé de se séparer après dix années de vie commune et de passer "une belle soirée" en réitérant, par un curieux souci de parallélisme des formes, leur premier dîner dans un restaurant réputé.
D'autre part, ledit restaurant ayant subitement fermé, ils se rabattent sur un autre établissement où ils sont accueillis par une grande et imposante figure en tenue de maître queux (excellentissime composition de Armand Eloi) qui, outre une prévenance excessive et des propos pseudo-philosophiques en forme de citations bocusiennes, manifeste une sollicitude invasive qui excède largement les impératifs de sa fonction.
Si Barbara (Anne Turolla au jeu juste et sensible) affiche l'assurance tranquille et diplomate de la femme qui a décidé de tourner la page sans faire de vagues, Luc (Christian Baltauss parfait dans la médiocrité vindicative) qui, en réalité, n'accepte pas cette rupture, va initier un véritable règlement de comptes conjugal qui emprunte au huis-clos délétère. La soirée tournera-t-elle au désastre sous le regard d'un restaurateur qui n'est peut-être pas qu'un témoin muet ?
Pour la mise en scène, Georges About privilégie la sobriété efficace pour ménager le suspense sans chercher à surligner les indices habilement disséminés par l'auteur. L'interprétation est à l'avenant avec un trio de comédiens qui maîtrisent l'ambiguïté qui en résulte. Et bien malin celui qui saura prédire le dénouement.