Les musiciens de l'Orchestre philharmonique de Radio France jouent l'Octuor pour instruments à vent d'Igor Stravinsky.
Lorsqu’Igor Stravinsky commence son Octuor, fin 1922, il est entré dans une période d’exploration passionnée des timbres et de la projection sonore des vents : Trois pièces pour clarinette seule en 1919, Symphonies d’instruments à vents en hommage à Debussy en 1920. Autant de partitions qui voient le jour sur fond d’essor du néo-classicisme, nouvelle esthétique qui, sous des noms divers, se développe en Europe : « jeune classicisme » de Ferruccio Busoni à Berlin, « nouvelle simplicité » de Prokofiev, « Esprit nouveau » du Groupe des Six, etc. La première partition néo-classique de Stravinsky a été son ballet Pulcinella, composé à la demande de Diaghilev sur des thèmes de Pergolèse : « Ce fut ma découverte du passé, confia Stravinsky dans ses Memories and Commentaries, l’épiphanie grâce à laquelle la majeure partie de mes oeuvres tardives ont pu voir le jour, la première d’une longue série d’histoires d’amour, mais aussi un regard dans le miroir. » Face au dodécaphonisme de la nouvelle École de Vienne, le néo-classicisme opte pour un retour aux formes du passé, pour la clarté mélodique, la simplicité harmonique. Il importe d’aller vers « l’exploitation et la compréhension parfaite de toutes les expériences passées coulées dans des formes stables et harmonieuses » (Busoni). Pas de subjectivité, mais une « nouvelle objectivité. »
L’Octuor de Stravinsky se déploie en trois mouvements. Le premier est un condensé de la forme sonate. Le deuxième, un « thème et variations » avec un thème de valse auquel s’opposent des mesures à quatre temps. Les variations sont brillantes. Le Finale est une fugue. Les sonorités des instruments retenus, ainsi que des dynamiques tranchées (forte ou piano, rien entre les deux, précisait Stravinsky) ont valu à l’Octuor l’image d’une partition « en blanc et noir ».
Stravinsky s’est expliqué sur son oeuvre dans un texte passionnant de novembre 1923 : « Mon Octuor est un objet musical. Cet objet a une forme et cette forme est influencée par la matière dans laquelle elle est composée.
Toute matière différente détermine une forme différente. Mon Octuor est fait pour un ensemble d’instruments à vent ; ces instruments me semblaient plus aptes à servir une certaine rigidité de forme que j’avais en vue, que les autres instruments, les cordes par exemple, moins froides et plus vagues. Ces derniers instruments, dont la souplesse peut donner de plus subtiles nuances, sont appelés à servir plutôt la sensibilité individuelle de l’exécutant, dans des oeuvres à “base émotive“.
Dans le cas présent, il ne s’agit pas d’une “oeuvre émotive“, mais bien d’une composition musicale basée sur des éléments objectifs qui se suffisent à eux-mêmes.
Ce qui m’a amené à composer la musique en question pour un octuor de flûte, clarinette, bassons, trompettes et trombones, c’est que : 1) cet ensemble forme une échelle sonore bien complète et me fournit par conséquent un registre suffisamment riche ; 2) la différence des volumes de ces instruments rend l’architecture musicale plus évidente, ce qui est la question la plus importante de toutes mes compositions actuelles ».